Mathieu Tremblay (Le naturaliste du Lac)















La dent du géant : un trésor paléontologique québécois

En 1978, sur les rives du lac Saint-Jean, un jeune garçon du nom de Christian Hudon fit une découverte extraordinaire dans l’eau peu profonde à proximité de Chambord : une imposante molaire fossilisée, mystérieusement bien conservée. Cette dent allait rapidement soulever l’intérêt du milieu scientifique québécois, devenant au fil du temps une pièce maîtresse du patrimoine paléontologique de la province.

Une découverte qui défie les attentes

L’identification fut confirmée par plusieurs experts de l’époque, dont la professeure d’anthropologie Eve Tremblay du Collège d’Alma. Il s’agissait d’une molaire de mastodonte — un Proboscidien apparenté aux éléphants actuels, mais qui s’est éteint à la fin du Pléistocène. C’est potentiellement la seule preuve concrète de la présence de mégafaune terrestre glaciaire de ce type au Québec, ce qui soulève beaucoup de questions pour une région où les conditions de fossilisation sont rarement favorables à la conservation d’ossements aussi anciens.

Est-ce que la molaire aurait pu être préservée aussi bien naturellement, ou bien aurait-elle pu être entretenue par l’Homme?

La dent la plus vieille du Québec

En 2003, le paléontologue renommé Dick Harington, alors conservateur émérite du Musée canadien de la nature, confirma que l’échantillon prélevé sur la racine de cette dent avait plus de 49 980 ans — une datation au-delà des limites de la méthode par radiocarbone. Cela en fait le plus ancien fossile vertébré daté scientifiquement jamais trouvé au Québec. Harington soupçonne même qu’elle pourrait remonter à l’interglaciaire Sangamonien, soit environ 100 000 ans avant notre ère, une époque chaude précédant le dernier maximum glaciaire.

Un mastodonte au Saguenay–Lac-Saint-Jean?

La découverte soulève de nombreuses hypothèses sur l’occupation du territoire québécois par la mégafaune. Alors que la majorité des restes de mastodontes au Canada proviennent de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick ou de la Nouvelle-Écosse, la dent de Chambord démontre que ces animaux ont aussi parcouru les terres du Saguenay–Lac-Saint-Jean avant les grandes glaciations. Cela renverse les anciennes conceptions selon lesquelles cette région aurait été totalement inhabitée par la faune terrestre avant la dernière déglaciation.

Une dent, des décennies plus tard

Conservée depuis au Musée ilnu de Mashteuiatsh, la dent a été remise en lumière en 2025 grâce aux efforts du naturaliste Mathieu Tremblay, de son acolyte Joël Privé, et du chercheur postdoctoral Alexandre Demers-Potvin de l’Université McGill. Ensemble, ils ont présenté ce spécimen à la conférence annuelle de la Société canadienne de paléontologie des vertébrés, tenue à Montréal du 5 au 7 mai 2025. Cet événement fut l’occasion de replacer la dent de Chambord dans le discours paléontologique contemporain, en soulignant sa rareté et sa valeur scientifique.
Technologie et transmission

À cette occasion, la dent a été scannée à l’aide d’un scanneur de surface 3D de haute précision, utilisant de la lumière blanche pour générer une image tridimensionnelle fidèle de la pièce. Grâce à ces efforts, coordonnés notamment par Louis-Philippe Bateman et l’équipe du laboratoire de recherche de McGill, la dent pourra être reproduite en impression 3D. Des copies seront remises à quelques personnes, permettant au grand public d’admirer cette découverte sans manipuler l’original. Ces technologies offrent aussi de nouvelles avenues d’étude et de conservation.

Vers de nouveaux horizons 

Des discussions sont actuellement en cours pour envisager l’utilisation des technologies modernes de datation sur la molaire. Ces nouvelles méthodes pourraient permettre de confirmer des hypothèses formulées il y a plusieurs décennies, mais qui restaient impossibles à vérifier à l’époque en raison des limitations technologiques. En appliquant ces techniques avancées, les chercheurs espèrent fournir une nouvelle lumière sur l’âge précis de la dent et son contexte paléontologique, ouvrant ainsi la porte  à une meilleure compréhension de la présence et de la chronologie de la mégafaune au Québec. Cette nouvelle étape pourrait marquer un tournant dans l’étude paléontologique de la région.

Christian Hudon était-il vraiment le premier découvreur ?

Bien que Christian Hudon ait eu la chance de faire cette découverte fortuite à un très jeune âge cela ne permet d’affirmer avec certitude que le mastodonte ait vécu sur le territoire Québécois.   

 En effet, une dent de requin des Caraïbes a été retrouvée sur un site archéologique dans la région, ce qui prouve qu’il y avait échanges sur de grandes distances? Cette hypothèse ouvre de nouvelles perspectives sur les réseaux d’échange et les interactions entre les peuples préhistoriques.

La dent de mastodonte aurait-elle pu être un objet sacré transporté depuis le Sud par des peuples autochtones?

Mise en valeur et diffusion

La dent sera exposée à la bibliothèque municipale d’Alma pendant toute l’année 2025, afin que le public puisse venir l’admirer de près et en apprendre davantage sur ce témoin du passé glaciaire du Québec. De plus, avec la permission du Musée ilnu de Mashteuiatsh, ce précieux fossile pourra être exceptionnellement présenté lors de certains événements scientifiques, culturels ou éducatifs à travers la province, dans un souci de partage et de sensibilisation à notre patrimoine naturel.

Remerciements

Nous tenons à remercier chaleureusement tous les collaborateurs ayant contribué à la valorisation de ce fossile exceptionnel : Alexandre Demers-Potvin, Hans Larsson, Louis-Philippe Bateman, Hélèna Delauniere, Patrick Couture,Francois Privé, Jean-Marc Ethier, Mario Cournoyer, Audrey-anne Boivin, Elise Prescott, Christian Hudon,Julie Hudon, Gilles Tremblay, le département de biologie de l’Université McGill, le Musée ilnu de Mashteuiatsh, le Musée canadien de la nature, la bibliothèque municipale d’Alma, vitrerie Boily, industries soudex ainsi que tous les passionnés de paléontologie qui permettent à notre patrimoine de continuer de rayonner.

Trouvé ici.


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