Des dépôts coquilliers uniques au monde et peu connus le long du fleuve Saint-Laurent




Extraits de l'article:

Il y a trois ans de cela, un collègue m’a parlé de dépôts coquilliers gigantesques redécouverts le long d’une vallée tout près de Baie-Comeau, dans la région de la Côte-Nord, au Québec.

Après avoir visité le centre d’interprétation Jardin des glaciers, ce collègue m’a dit: « André, toi qui s’intéresses aux coquillages marins du Canada et aux invertébrés marins du golfe du Saint-Laurent, il faut que tu voies ces dépôts coquilliers. » Ma curiosité était piquée.

Après tout, la Côte-Nord est un coin de pays que je suis censé connaître assez bien. J’ai fait une maîtrise sur la reproduction et le comportement du buccin commun, Buccinum undatum, dans l’archipel des îles Mingan, sur la Basse-Côte-Nord (Québec). Dans le cadre de mes recherches, de 1982 à 1985, j’ai fait de nombreuses plongées sous-marines dans ce secteur, étudiant les animaux du fond marin. Pourtant, durant toutes ces années à parcourir la longue route jusqu’à Havre-Saint-Pierre, je n’avais jamais entendu parler de ces dépôts coquilliers. Il était trop tôt pour les connaître, car aucune étude scientifique ni publicité n’en avait parlé.

C’est pourtant vers 1917 que ces dépôts coquilliers ont été découverts, lors de l’installation de lignes téléphoniques le long de la rivière aux Anglais, à quelques kilomètres au nord-est de Baie-Comeau. Mais ce n’est que beaucoup plus tard, en 1999, qu’est parue la première publication scientifique sur ces dépôts. Son auteur, Pascal Bernatchez, est maintenant titulaire de la Chaire en géosciences côtières à l’Université du Québec à Rimouski.

C’est en sa compagnie que j’ai visité le centre d’interprétation Jardin des glaciers pour la première fois, à l’été 2010. Je voulais voir par moi-même ces dépôts de coquillages marins uniques au monde. Ils représentent les vestiges d’animaux marins qui vivaient au fond de l’estuaire et du golfe Saint-Laurent il y a environ 10,000 ans!

Les dépôts coquilliers, entre autres les dépôts 1 et 2, sont de gigantesques amoncellements de coquillages, dont un bon nombre sont encore intacts, sans cassure.

Le dépôt 1 est particulièrement spectaculaire. Sa bordure est exposée comme une falaise, sur le bord de la vallée, telle une carrière de sable. Sauf qu’au lieu du sable, ce sont d’innombrables coquillages empilés les uns sur les autres qui forment la paroi.

Ce dépôt de coquillages, le plus grand du genre connu sur la planète, se trouve à 80 mètres au-dessus du niveau actuel de la mer. Il mesure plus de 10 m d’épaisseur et plus de 180 m de largeur, et il se prolonge sous le sol forestier sur une distance de 275 m. Cela représente un volume d’environ 495 000 m3. Un camion à 10 roues devrait faire environ 64 000 voyages pour déplacer tous ces coquillages!

Les dépôts coquilliers de Baie-Comeau ne sont pas seulement vastes, ils sont aussi d’une pureté remarquable. Le dépôt 1, en particulier, est composé à 90 % de coquillages. Il contient seulement 10 % de sable grossier. Rien de semblable n’a été découvert jusqu’à présent.

On connait encore mal la façon dont ces dépôts se sont formés. À l’époque, le Québec et tout le reste du Canada sortaient d’une longue ère glaciaire et le climat se réchauffait rapidement. La calotte glaciaire fondait donc très rapidement. Elle laissait derrière elle une zone côtière dont la croute terrestre avait été écrasée par l’énorme poids de la glace. La mer a pu alors envahir, temporairement, les basses terres adjacentes au golfe actuel. Les dépôts coquilliers se seraient formés à ce moment.

C’était l’époque de la mer de Goldthwait, une version un peu élargie de l’estuaire et du golfe Saint-Laurent actuel. Les dépôts coquilliers, bien que retrouvés jusqu’à 90 m au-dessus du niveau de la mer actuel, représentent donc la zone de rivage de cette ancienne mer postglaciaire.

À mesure que la glace a libéré la croûte terrestre, celle-ci a remonté de plusieurs dizaines de mètres, laissant de grands dépôts de coquillages marins à l’emplacement de l’ancien rivage.

Mon intérêt personnel pour ce site s’est développé après que j’eu observé du matériel fin sous la loupe binoculaire. À ma grande surprise, j’ai pu constater que même les petits stades juvéniles des différentes espèces de bivalves et de gastéropodes avaient été parfaitement conservés depuis 10 000 ans!

Cet été, à la fin d’août, je reprends la route de Baie-Comeau, en compagnie de collègues, pour aller étudier à nouveau ces merveilleux dépôts coquilliers.

Dans une prochaine communication, je vous parlerai de trouvailles récentes sur les différentes espèces de coquillages qui y ont été retrouvés, dont des buccins, des natices, des littorines, des moules, des myes et des pétoncles.