Charlevoix ne s’est pas toujours trouvé sous le 47e parallèle nord. À une époque géologique lointaine, il y a autour de 450 millions d’années, la région se situait à moins de 1000 km au sud de l'Équateur.
Le climat y est chaud, mais on est encore bien loin des paysages tropicaux actuels. En fait, la nature comme nous la connaissons ne s’est pas encore imposée sur la terre ferme. Des champignons et de petites plantes commencent alors à apparaître ici et là dans le panorama, mais les premières espèces animales n’ont colonisé que les eaux peu profondes de la planète.
Charlevoix se trouve d’ailleurs à une centaine de mètres sous l’eau, dans l’océan Iapétus (aussi appelé proto-Atlantique), campé entre le Bouclier canadien et les Appalaches.
Le niveau d'eau est alors beaucoup plus élevé tout le long du fleuve Saint-Laurent actuel. Montréal, Trois-Rivières, Québec, Charlevoix, et la Côte-Nord se trouvent sous l'eau, explique Jean-Michel Gastonguay, professeur de physique et d'astronomie au Centre d'études collégiales en Charlevoix et directeur des Observatoires astronomique et de l'Astroblème de Charlevoix.
Le Québec frappé en plein cœur
Un peu avant la fin de l’Ordovicien, il y a entre 430 et 453 millions d’années, Charlevoix est frappée par une météorite d’environ 6 km de diamètre qui pénètre dans l’atmosphère et percute la croûte terrestre à toute vitesse pour s’y enfoncer jusqu’à 12 km de profondeur.
Sous l’impact, la région se transforme en un immense cratère de roche en fusion. La météorite fond et se vaporise; les roches situées en périphérie du cratère se fracturent.
Des fragments et de la poussière de roche sont éjectés dans les airs pour ensuite retomber à l’intérieur et autour du cratère. Des fragments seraient tombés aussi loin qu’à Trois-Rivières, situé à 250 km, indique Jean-Michel Gastonguay.
C'est une force qui dépasse l'entendement. Même la couleur de l'atmosphère aurait changé pendant un certain temps, ajoute le professeur.
La géologie et la morphologie de la région subissent en quelques instants des transformations qui sont encore visibles de nos jours.
La chute de ce corps céleste venu de la ceinture d’astéroïdes – ou de l’orbite terrestre, selon une récente théorie – marque aussi l’ensemble de la planète.
Pour M.Gastonguay, l’événement cataclysmique présente des similitudes avec celui survenu sur le territoire mexicain plus récemment, il y a 66 millions d'années, et qui a mené à l'extinction des dinosaures. Si les deux météorites sont tombées en eau peu profonde près de l’Équateur, celle tombée au Yucatan a cependant libéré une quantité d’énergie beaucoup plus importante.
Cela ne veut pas dire que l’impact de Charlevoix a été sans conséquence. L'énergie dégagée est hallucinante! C'est plusieurs centaines de millions de fois plus puissants que la bombe qui a été larguée sur Hiroshima, illustre M.Gastonguay.
On soupçonne d’ailleurs que cet impact a accéléré le refroidissement climatique global qui a été enclenché il y a 485 millions et a qui a mené à la glaciation hirnanti enne, l’événement qui a mis fin à l’Ordovicien et entraîné la mort de 70 % des espèces vivantes sur terre.
Plus vieux qu’on pensait
Les premières études sur l’âge du cratère ont été réalisées dans les années 1970 à partir de la datation d’impactites trouvées dans un affleurement du secteur de Sainte-Marie-de-Charlevoix.
Les impactites sont des roches créées par la chaleur, la pression et les mouvements de la croûte terrestre lors d'un impact météoritique important, précise M. Gastonguay.
Des études effectuées au début des années 2000 tendent cependant à montrer que l’impact s’est produit il y a plus longtemps qu’on pensait, jusqu'à il y a 410 millions d'années.
Ce n'est toutefois qu'en 2019 que des travaux ont montré que la chute de la météorite s’est produite il y a 450 millions d’années (plus ou moins 20 millions d’années), ce qui correspond à près de 100 millions d'années plus tôt que les estimations précédentes.
Vers une datation plus précise
Pour le chercheur Nicolas Pinet, de la Commission géologique du Canada (CGC), une estimation de plus ou moins 20 millions d’années reste très imprécise.
En géologie, on est maintenant capable de circonscrire l'âge [d'une roche] de manière beaucoup plus précise; autour de deux à trois millions d’années, explique le géologue.
Ce dernier participe à l’étude géochronologique dont l'objectif est de mieux circonscrire l’âge de l’astroblème de Charlevoix.
La tâche n’est pas facile, puisque la région géologique née il y a plus d'un milliard d'années a connu de multiples événements géologiques, observe Nicolas Pinet.
Trouver les roches témoignant de la chute de la météorite est donc un exercice compliqué qui demande du flair. Et du flair, Jean-Michel Gastonguay en a, lui qui parcourt la région depuis des dizaines d’années. À ses yeux, le projet de datation de l’astroblème est un bel exemple de collaboration entre une organisation de haut niveau, la Commission géologique du Canada, et des chercheurs du collégial. Pour nous, c’est une grande fierté, dit le professeur, qui espère que la collaboration se poursuivra dans le futur.
En septembre dernier, il a accompagné Nicolas Pinet et son collègue Antoine Godet, de la CGC, dans leur recherche des échantillons parfaits. Ensemble, ils ont parcouru la zone du pic central du cratère à la recherche de roches qui pourraient les aider dans leur effort de datation.
Ils ont prélevé une vingtaine d'échantillons dans un rayon allant jusqu’à 7 km du point d'impact (dont le centre est le pic du mont des Éboulements).
Les géologues ont porté une attention particulière aux matériaux vitrifiés et aux cônes associés aux impacts.
Nicolas Pinet rappelle qu’il est difficile de départager les minéraux qui ont été formés lors de l'impact de ceux qui étaient là avant, et de déterminer lesquels ont gardé une partie de leur composition originale. De plus, comme l'histoire de la région est longue et complexe, il y a aussi des pierres ressemblant beaucoup à des roches fondues qui ne sont pas associées à l'impact.
Il y a donc un facteur de chance associé à l’échantillonnage. Le trio de chercheurs espère quand même avoir mis la main, parmi les échantillons, sur celui qui pourrait préciser le moment de l’impact. Dans la vingtaine d'échantillons sélectionnés, on espère avoir deux ou trois bons candidats, indique Nicolas Pinet.
À l'heure actuelle, les échantillons de roche sont transformés en lames minces, c'est-à-dire des tranches extrêmement fines de roche qui sont posées sur une lame de verre, et qui permettent à la lumière de passer à travers afin d'être observée au microscope.
Des photos à très haute résolution seront réalisées de leur contenu, ce qui servira à bien caractériser les minéraux.
Des analyses de pétrographie et de chimie minérale seront également réalisées dans les prochains mois.
Les échantillons les plus prometteurs seront ensuite analysés avec des techniques très précises de datation au laboratoire d’Ottawa de la CGC.
Si on arrive à faire la corrélation entre la chute de la météorite de Charlevoix et la baisse de la température moyenne globale sur terre à la même époque, on pourra penser que cette chute est liée à la première grande extinction de la fin de l’Ordovicien-Silurien, dit avec enthousiasme Jean-Michel Gastonguay, qui rêve de voir la région s’inscrire dans l’histoire de l’évolution de la vie sur la planète.
Le géologue Nicolas Pinet rappelle que le lien entre les deux événements est impossible à établir tant que l’âge de l’astroblème n’est pas précisé, une précision qui pourrait arriver à la fin 2025.
En outre, l'équipe s'intéresse à certaines roches sédimentaires de la région, dont l'analyse pourrait permettre de dater l'impact par une méthode différente et complémentaire.
La théorie des anneaux
En octobre dernier, des scientifiques de l'Université de Monash, en Australie, ont publié une étude dans laquelle ils ont analysé la position et les caractéristiques géologiques de 21 cratères d'impact de météorites – dont celui de Charlevoix – apparus sur terre au cours d'une période connue sous le nom de pic d'impact de l'Ordovicien.
Selon leur théorie, la désintégration d'un astéroïde passant dans le voisinage de la Terre il y a 466 millions d’années aurait mené à la formation d’un système d’anneaux autour de la planète dont la matière serait retombée sur terre pendant une période.
Leurs travaux incluent trois cratères situés de nos jours sur le territoire canadien, dont celui de Charlevoix, et ce dernier est de loin celui qui présente le diamètre le plus important.
De cratère à astroblème
Ce n’est qu’en 1965, grâce aux travaux du géologue Jehan Rondot, du ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec, que la structure semi-circulaire de Charlevoix a été officiellement associée à un cratère d’impact.
Le géologue y décrit une cicatrice géologique typique observée grâce aux impactites. Dans l'astroblème de Charlevoix, on en observe plusieurs types. Les plus faciles à identifier sont les cônes de percussion qui se forment lorsque l'onde de choc se propage dans la croûte.
Ce sont des roches dont les surfaces présentent des fracturations caractéristiques en forme de queue de cheval, ou de cônes, explique le professeur Castonguay.
De nos jours, la moitié sud du cratère est enfoui sous le fleuve Saint-Laurent, et la moitié nord du cratère est délimitée par la région de Baie-Saint-Paul, à l’ouest, et la région de La Malbaie. à l’est. Le mont des Éboulements correspond au pic central du cratère.
On décrit maintenant les traces de l’impact comme un astroblème puisque le terme désigne les restes d'un ancien cratère d'impact météoritique très érodé.
À l’origine, le choc a créé un cratère de 70 km de diamètre semblable à celui de Tycho, sur la Lune. Ce type de cratère possède une montagne dans le centre, indique Jean-Michel Gastonguay.
De nos jours, le diamètre de l’astroblème est plutôt de 52 km en raison de l’usure du temps.
Le saviez-vous?
L’astroblème de Charlevoix est le troisième plus grand site d'impact connu au Canada, derrière ceux de Sudbury, en Ontario, et de Manicouagan, au Québec, et le onzième plus grand de la planète.
Le Québec possède sur son territoire sept autres astroblèmes, dont ceux de Manicouagan, de Pingualuit, du lac à l'Eau Claire, et du lac Couture.
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