Lorsqu'on m'a parlé de cette hypothèse, je dois avouer l’avoir d’abord reçue avec beaucoup de scepticisme, mais ma curiosité a été piquée et j’étais bien déterminé à me taper le livre. En voici donc un aperçu.
Chapitre Un
Dès le départ, Morgan s’attaque à ce qu’elle appelle le «savannah-based model», cette théorie selon laquelle la bipédie et la nudité de nos ancêtres seraient des adaptations à un nouveau mode de vie dans la savane africaine. Elle rappelle que cette théorie a été anéantie par des découvertes d’ossements qui démontrent que nos lointains ancêtres étaient déjà bipèdes bien avant les changements climatiques qui causèrent l’expansion des savanes. Lucy, la célèbre australopithèque, a vécu il y a 3,5 millions d’années, bien avant l’expansion des savanes. Elle est morte dans une zone de forêts humides. Pourtant, dénonce-t-elle, beaucoup de gens continuent d’y croire et de le répéter dans les livres et les documentaires.
Chapitre Deux
Morgan souligne le fait que la vaste majorité des fossiles d’hominidés découverts l’ont été aux abords de points d’eau. Or, dit-elle, ce fait est généralement considéré insignifiant par les paléontologues. Ceux affirment généralement que nous trouvons des fossiles à ces endroits simplement parce que ce sont les conditions idéales de préservation : une créature meurt, son cadavre s’enfonce dans la vase et est préservé.
Mais Lucy a été découverte dans une couche sédimentaire qui contenait également des pinces de crabes et des œufs de tortues et de crocodiles. Selon Morgan, ce détail ne devrait pas être simplement ignoré car il fournit peut-être de précieux indices sur le mode de vie des premiers hominidés.
Les sites où ont été découverts certains des fossiles les plus célèbres sont aujourd’hui des zones de savanes arides adjacentes au lac Turkana, mais il y a 4 millions d’années, ce lac était beaucoup plus grand et on s’aperçoit que les sites en question étaient alors situés… sous l’eau! L’emplacement des fossiles est donc parfaitement compatible avec l’hypothèse du singe aquatique.
Les principales objections qui ont été formulées concernent, d’abord et avant tout, les crocodiles. En effet, quel avantage un singe pourrait-il avoir à se plonger dans un environnement aussi dangereux? Or, il s’avère que les crocodiles qui habitaient et qui habitent toujours ces régions ne s’intéressent pas du tout aux humains, leur préférant les abondants poissons-chats qui y vivent. Les gens de l’endroit traversent les rivières remplies de crocodiles sans être inquiétés et se baignent dans le lac sans problème. Une autre objection qui a été soulevée prétend que, si les premiers hominidés s’étaient réellement adaptés à un milieu aquatique, leurs bras et leurs jambes auraient commencé à se transformer en nageoire. Évidemment, cet argument est idiot puisque une telle évolution nécessiterait une période de temps extrêmement longue. Selon Morgan, la phase aquatique des premiers humains aurait été de courtes durée, juste assez longue pour permettre à nos ancêtres d’entamer une évolution différente de celle de leurs cousins simiesques.
Chapitre 3
Dans ce chapitre, Morgan s’attaque à la question de la bipédie. Pourquoi nos ancêtres se sont-ils mis à marcher sur deux jambes? Plusieurs scientifiques se tournent vers les gibbons, nos plus proches cousins bipèdes, et affirment que nos ancêtres ont développé la bipédie de façon similaire. Or, les gibbons ne sont pas réellement bipèdes. Ils de déplacent sur deux jambes de manière assez maladroite seulement lors de leurs rares excursions au sol. Ils passent le plus clair de leur temps dans les arbres à se balancer de branche en branche à l’aide de leurs bras.
Or, deux autres espèces de singes qui nous sont apparentés de beaucoup plus près que les gibbons ont choisi, eux, de quitter les arbres et de venir vivre au sol. Il s’agit des gorilles et des chimpanzés. Or, ni l’un, ni l’autre de ces espèces n’a développé un mode de locomotion bipède, se déplaçant plutôt à quatre pattes à l’aide de leurs pieds et du dos de leurs phalanges. Si le simple fait de quitter les arbres est sensé expliquer l’apparition de la bipédie chez notre espèce, alors pourquoi le même phénomène ne se serait pas produit chez nos cousins? L’étude des fossiles démontre par ailleurs que nos ancêtres n’ont jamais traversé de phase semblable et que leurs phalanges ne leur ont jamais servi à se déplacer.
Chapitre 4
La communauté scientifique a essentiellement deux façons de regarder l’énigme de l’émergence de notre bipédie. Pour les uns, il s’agit d’un changement drastique et dangereux qui nous a privé de notre vitesse et de notre agilité à la course, qui nous place à tout moment dans une position précaire propice aux chutes, qui nous empêche de grimper efficacement aux arbres où se trouvent quantité de fruits et de noix et qui nous cause des douleurs au dos. Selon eux, il faut vraiment des circonstances extraordinaires pour justifier un changement de posture aussi drastique et coûteux.
Pour les autres, la bipédie est tout simplement une adaptation logique qui offre plus de bénéfices que de problèmes. Or, les arguments de ce groupe ont été sérieusement affaiblis par des études qui ont démontré que la bipédie confère une moins grande vitesse à la course (il est plus efficace de se propulser avec quatre membres que seulement deux) et amène un coût énergétique beaucoup plus élevé lors des déplacements. En effet, un bipède dépense en moyenne deux fois plus d’énergie qu’un quadrupède de taille comparable lorsqu’il court. Il est donc tout à fait étonnant de constater que nos ancêtres aient opté pour la bipédie, un mode de locomotion plus lent et moins efficace! Quelles conditions auraient donc contribué à rendre cette adaptation avantageuse?
Chapitre 5
Dans ce chapitre, Morgan s’emploie à passer en revue certaines explications qui ont été proposées pour expliquer notre bipédie.
L’une d’elle, appelée «sentinel behaviour», très populaire, postule qu’il est avantageux de pouvoir être debout pour voir au loin dans la savane. Or, selon Morgan, cette hypothèse aurait pu expliquer une posture verticale occasionnelle (comme pour les suricates) mais pas une locomotion bipède.
Une autre vieille hypothèse, la «carrying behaviour», stipule que la bipédie aurait évolué pour permettre à nos ancêtres de transporter des objets tout en se déplaçant. Or, il n’a jamais été très clair de déterminer quel serait au juste l’objet qui nécessiterait une telle adaptation. La nourriture? Pourquoi des singes nomades auraient-ils besoin de transporter de la nourriture? De l’eau? Elle était abondante dans leur environnement. Des outils? Rien n’indique que les australopithèques aient fabriqué des outils. Leurs petits? La nécessité de transporter les petits dans les bras est davantage une conséquence de la bipédie qu’une cause. Les autres primates transportent leurs petits sur leur dos sans le moindre problème.
Une troisième hypothèse traite de la température corporelle et avance que la bipédie aurait permis à nos ancêtres de rester plus frais dans la savane en exposant une moins grande surface de leur corps aux rayons du soleil. La faiblesse de cette théorie est dans son origine. Pourquoi un animal aussi sensible à la chaleur irait-il s’aventurer dans la savane? Pourquoi ne pas rester sous le couvert des arbres ou aller se reposer lorsque le soleil est à son zénith? Par-dessus le marché, on sait maintenant que la savane est apparue longtemps après que nos ancêtres soient devenus bipèdes.
Chapitre 6
L’étude des sédiments dans lesquels les fossiles d’hominidés ont été retrouvés n’est pas sans intérêt. Ainsi, on sait que ces sédiments étaient principalement lacustres et étaient jadis les rives de lacs ou de fleuves. Il semblerait qu’au cours des millénaires, la zone ait été périodiquement inondée et les terres environnantes submergées. On peut donc imaginer un scénario dans lequel nos ancêtres se sont vus obligés de traverser des zones inondées pour atteindre la nourriture d’arbres plus éloignés. L’avantage de se déplacer sur deux pieds, en position verticale, semble alors évident et immédiat. Il est intéressant de noter qu’il existe une espèce de singe qui vit dans des conditions, le nasalis narvatus. Cet animal est régulièrement forcé de traverser des zones aquatiques sur deux pieds, en maintenant ses mains dans les airs pour maintenir son équilibre.
Il est également intéressant de noter que les bonobos, la race simiesque qui nous ressemble le plus, adorent l’eau et n’hésitent pas à s’y aventurer et même à y plonger. On remarque également une absence totale de phalanges dans les traces qu’ils laissent sur les berges, ce qui indique qu’ils marchent sur deux pieds pour éviter de se mouiller les mains. Le bonobo a d’ailleurs des jambes plus longues et plus fortes que celles du chimpanzé et est capable d’emprunter une posture plus droite. Cette méthode de locomotion ne serait pas si .tonnante puisqu’on a également observé des gorilles utiliser une locomotion bipède afin de se déplacer dans l’eau
Chapitre 7
Morgan parle ici de la question de notre «nudité», c’est-à-dire de la disparition de la fourrure. Elle déplore le fait que cette question a traditionnellement été jugée triviale, alors qu’il s’agit clairement d’une caractéristique importante de notre espèce.
Russell Newman avance que la perte de la fourrure cause un grave préjudice à notre espèce en exposant notre peau fragile directement au soleil et en nous privant d’une couche isolante qui nous garderais frais le jour et chaud la nuit. Il en déduit que la perte de la fourrure a donc dû survenir avant que nos ancêtres quittent la forêt, mais il est incapable d’expliquer la raison précise qui aurait pu mener à cette adaptation.
Une autre explication qui semble intuitivement logique c’est que la perte de la fourrure est avantageuse pour un animal qui vit dans la savane. Après tout, qui voudrait se promener dans ce climat avec un manteau de fourrure? Mais des études ont démontré que les animaux que l’on rasait souffrait plus de la chaleur que ceux à qui on laissait leur fourrure.
Chapitre 8
Morgan ouvre ce chapitre avec une citation de Darwin : «Another most conspicuous difference between man and the lower mammals is the nakedness of his skin. Whales and porpoises (Cetacea), dugongs (Sirenia) and the hippopotamus are naked.»
Morgan dénonce le fait que les scientifiques ne s’intéressent pas à établir des parallèles entre l’absence de fourrure chez les humains et la même nudité chez d’autres espèces animales. Elle croit, au contraire, qu’il pourrait y avoir des indices intéressants. Elle donne l’exemple de plusieurs familles animales qui ne sont pas cousines et qui compte toutes des espèces à la fourrure blanche, comme les ours, les renards, les lièvres, etc. Dans chaque cas, bien que ces animaux ne soient pas directement apparentés, il s’agit de la même adaptation à un environnement enneigé. Cette observation, explique-t-elle, n’est rejetée par personne sous prétexte que certains animaux blancs vivent sous les tropiques (comme certains cacatoès) ou que d’autres animaux que d’autres animaux qui vivent dans les mêmes conditions ne sont pas blancs (comme les manchots). Morgan considère donc qu’une analogie entre les humains et les autres animaux dépourvus de fourrure pourrait être aussi valide.
Elle souligne ensuite que tous les mammifères nus sont aquatiques, à l’exception des pachydermes et du rat-taupe nu de Somalie. Elle explique qu’il s’agit d’une adaptation avantageuse, puisque la fourrure est un isolant beaucoup moins efficace dans l’eau que dans l’air. Ces animaux optent plutôt pour une couche de graisse.
Dans le cas des pachydermes (une ancienne classification qui incluait les éléphants, les hippos, les porcs, les rhinos, les morses, les tapirs, etc.), Morgan nous fait remarquer que ces animaux sont tous aquatiques ou ont des ancêtres qui l’ont été, d’où leur nudité. Ils sont tous d’excellents nageurs, y compris les cochons, à ma grande surprise. Elle remarque également d’autres ressemblances entre la peau de ces animaux et la nôtre: 1) Notre peau est substantiellement plus épaisse que celle des autres primates, 2) Il y a une couche de graisse sous-cutanée plus épaisse que chez les autres primates et 3) Contrairement à celle des autres primates, notre peau est sillonnée de petites lignes qui s’entrecroisent, une caractéristique qui est également observable chez les pachydermes, les morses et les porcs.
Chapitre 9
Morgan attire notre attention sur la quantité de gras qui caractérise les humains, en particulier nos bébés. Contrairement aux autres bébés primates qui ressemblent à des petits vieillards plissés et maigres, les bébés humains naissent avec une importante couche de gras. Les humains possèdent beaucoup plus de gras que les autres mammifères de taille comparable.
Il est généralement affirmé que cette accumulation de gras chez les humains serait une espèce d’aberration causée par un changement drastique de mode de vie suite à la découverte de l’agriculture et la sédentarisation. Or, la fameuse petite statuette préhistorique qu’on a baptisée la Vénus de Willendorf indique clairement que la vue d’une femme bien ronde n’était pas étrangère à l’artiste qui l’a sculptée!
Alors quel peut-être le bénéfice de tout ce gras? L’une des principales théories stipulait qu’il s’agissait d’une adaptation à la vie dans la savane, permettant de conserver la chaleur pendant la nuit et de l’évacuer plus facilement pendant le jour grâce à l’absence de fourrure. Or, cette explication ne tient pas compte des sérieux désavantages qu’entraînent une couche telle couche de graisse dans la savane. En effet, cette dernière a l’effet désastreux de ralentir l’individu, ce qui le rend moins efficace pour chasser et pour s’enfuir en cas de danger, sans parler de toute l’énergie nécessaire pour trimbaler sa propre carcasse au soleil à longueur de journée.
Lorsqu’on regarde les autres mammifères, on constate que deux catégories d’entre eux emmagasine du gras: ceux qui hibernent et ceux qui vivent dans l’eau. Comme il serait loufoque de croire que nos ancêtres se seraient mis à hiberner en Afrique, il reste donc les mammifères aquatiques. Dans l’eau, une couche de graisse est nécessaire pour compenser la rapide perte de chaleur. Des études ont démontré qu’une couche de gras est plus efficace que la fourrure pour conserver sa chaleur dans l’eau. C’est d’ailleurs cette adaptation qui caractérise la plupart des mammifères aquatiques, sauf les plus petits, comme les castors, par exemple. Dans ce cas, bien qu’il y ait plus de gras que dans un animal terrestre, la petite taille de l’animal l’empêche de posséder une couche de gras suffisamment épaisse pour rendre la fourrure inutile. Les deux isolants doivent donc coexister.
Deux autres caractéristiques du gras chez les mammifères aquatiques semblent également soutenir l’hypothèse du AAT. Tout d’abord, il y a la distribution du gras. Chez les animaux terrestres, le gras se retrouve à l’intérieur des cavités du corps, autour des organes internes comme les reins, le cœur et les intestins. Chez les animaux aquatiques, le gras migre en surface pour former une couche juste sous la peau, comme c’est le cas chez les humains. La seconde caractéristique du gras des animaux aquatiques, c’est qu’il adhère à la peau, il s’y soude. C’est le cas chez les humains. Les animaux terrestres, eux, possèdent une peau qui semble plus «flottante».
Morgan soulève la question de la différence marquée entre les deux sexes. En effet, les femmes possèdent une plus importante masse adipeuse que les hommes, on parle de 15% pour un jeune homme et de 27% pour une jeune femme. Chez les occidentaux plus vieux, ces nombres sont de 28% pour les hommes et de 40% pour les femmes. Pourquoi?
Morgan parle ensuite de l’autre différence majeure: les seins. Elle cite une étude selon laquelle il est faux de croire que les femmes ont besoin d’emmagasiner de la graisse dans leurs seins pour être capables d’allaiter. La vaste majorité des autres mammifères allaitent sans qu’il y ait de gonflement notoire des glandes mammaires. Les femelles arrivent à répondre à la demande supplémentaire en augmentant la quantité d’aliments qu’elles consomment, sans puiser dans leurs réserves de graisse.
L’auteure avance alors une théorie qui me semble complètement ridicule et qui démontre bien qu’elle
est une femme qui ne comprend rien à la libido masculine. Selon elle, les seins ne jouent aucun rôle intrinsèque dans l’attirance sexuelle. À son avis, l’intérêt porté aux seins est culturel et les seins se seraient développés pour faciliter l’allaitement d’êtres bipèdes à posture verticale. À mon humble avis, c’est n’importe quoi. Mais j’ai déjà écrit là-dessus sur ce blogue, alors je ne vais pas m’y remettre ici.
Morgan avance finalement l’hypothèse selon laquelle les femelles de notre espèce auraient investi le milieu aquatique longtemps avant les mâles, ce qui expliquerait leur masse adipeuse plus importante et leur pilosité moindre. Elle note également que les femmes survivent plus longtemps lorsqu’elles sont immergées dans l’eau froide et qu’elles battent les hommes dans les épreuves de natation sur des longues distances.
Une théorie qui pourrait expliquer cela, selon elle, est (dans un contexte de forêt inondée) la monopolisation des ressources traditionnelles situées dans les arbres par les mâles dominants, forçant les femelles à s’immerger dans le milieu aquatique pour trouver de nouvelles sources de nourriture.
Chapitre 10
Dans ce chapitre, il est question des larmes et de la sueur, deux liquides qui, semble-t-il, sont sécrétés par d’autres mammifères marins et dont l’un des rôles est d’éliminer des surplus de sel dans l’organisme.
Chapitre 11
Ce chapitre, l’un des plus intéressants, s’intéresse au larynx. Il y est question de la «descente» du larynx humain, c’est-à-dire à sa position très basse dans la gorge comparativement à celle qu’il occupe chez les autres primates.
Première question: chez quelles autres espèces retrouve-t-on un larynx qui s’est déplacé vers le bas? Réponse: le morse, le dugong et les lions de mer. Trois mammifères marins. Les autres mammifères marins ne possèdent pas cette caractéristique, mais elle ne se retrouve chez aucun mammifère terrestre à part nous.
Morgan explique ensuite ce que signifie exactement ce déplacement du larynx. Chez la plupart des animaux, la gorge contient deux tubes distincts: celui qui permet de respirer et celui qui permet d’avaler. Il est donc parfaitement possible pour un animal de respirer et d’avaler en même temps, ce qui rend l’étouffement presque impossible. Nous, humains, ne possédons qu’un seul passage et cela est principalement dû à la descente du larynx dans la gorge.
Quelle aurait bien pu être l’utilité de cette adaptation? À première vue, elle ne comporte que des inconvénients. Il y a d’abord le danger d’étouffement, parfois en inhalant ses propres vomissures. Il y a également l’apnée du sommeil, un problème qui peut avoir des effets dévastateurs sur un individu. De plus, la respiration par la bouche fait en sorte que l’air que nous inspirons n’est pas filtrée par les narines et les sinus, ce qui entraîne des infections pulmonaires parfois mortelles. Finalement, il semble y avoir une corrélation entre la position du larynx chez les humains et le syndrome de la mort subite du nourrisson, d’où la nécessité de coucher les bébés sur le dos et de soulever légèrement la tête afin que la gravité ramène le larynx vers le bas et empêche la suffocation.
Deuxième question: qu’est-ce qui a pu entraîner ce déplacement du larynx vers le bas? Certains ont postulé que l’aplatissement du visage aurait entraîné un recul de la langue et une descente du larynx. Mais plusieurs espèces de chats et de chiens créées par l’homme possèdent des visages aplatis et leur larynx ne s’est pas déplacé.
Si le larynx s’est déplacé ainsi, c’est que cela a été avantageux pour nos ancêtres.
Troisième question: quel en est l’avantage? Réponse: le fait de pouvoir inspirer par la bouche permet d’emplir ses poumons plus rapidement lorsqu’on revient à la surface de l’eau, après une immersion prolongée.
Cette hypothèse est renforcée lorsqu’on observe les oiseaux: les oiseaux terrestres respirent par les narines et les oiseaux marins respirent par le bec.
Chapitre 12
Ce chapitre s’intéresse à la question du langage. Pourquoi les singes sont-ils complètement incapables de parler? Leurs capacités cognitives sont pourtant suffisamment évoluées pour qu’ils puissent s’exprimer avec le langage des signes et pour qu’ils comprennent des phrases relativement complexes. Alors pourquoi est-il impossible de leur faire prononcer ne serait-ce que le plus simple des mots?
La réponse n’est pas dans la bouche ou la gorge, elle est beaucoup plus bas, avec le diaphragme. Les animaux terrestres sont incapables de contrôler leur respiration, pas plus que nous sommes capables de contrôler les battements de notre cœur. Il s’agit chez eux d’un processus automatique et inconscient qui leur échappe complètement. Or, il est impossible de parler si one ne peut pas contrôler la quantité d’air qu’on inspire et le débit d’expiration. Encore une fois, cette habileté se retrouve chez les mammifères et les oiseaux aquatiques qui peuvent retenir leur souffle après un plongeon. Morgan avance donc l’hypothèse que cette habileté de contrôle du diaphragme serait d’abord apparue pour permettre des immersions prolongées et aurait, par la suite, en conjonction avec la descente du larynx, permis l’apparition et le développement du langage.
Pourquoi nos ancêtres n’auraient-ils pas opté pour l’élaboration d’un langage par signes plutôt qu’un langage vocal? Difficile de communiquer par signes lorsque l’on est immergés et que nos membres sont utilisés pour se maintenir à flots.
Chapitre 13
Ce dernier chapitre, intitulé «Infrequently asked questions»s’intéresse à ces questions que la communauté scientifique devrait se poser plus souvent, selon Morgan.
SEXUALITÉ
La première de cette question concerne la sexualité, plus précisément, l'habitude humaine de s'accoupler face à face. Lorsque l'on observe le règne animal, on retrouve cette pratique chez les animaux marins. Les baleines, les dauphins, les castors se reproduisent de cette façon, tandis que du côté terrestre, elle semble être unique à homo sapiens, à part pour deux exceptions: les orangs-outans et les bonobos. Dans le cas des orangs-outans, il s'agirait d'une nécessité compte tenu de sa vie presque exclusivement arboricole. Se reproduire de manière traditionnelle en équilibre sur des branches d'arbres représenterait un risque très élevé de chute. Le cas des bonobos est plus proche du nôtre. L'angle du vagin s'est d'ailleurs déplacé vers l'avant et la longueur du pénis s'est accentué, comme c'est le cas pour les humains. Mais comme personne n'ode prétendre que les bonobos ont déjà été aquatiques, je ne sais pas trop où elle veut en venir avec ça.
Il est ensuite question de l'hymen, qui serait très commun chez les espèces de mammifères aquatiques, mais pas du tout chez les primates. L'appareil reproducteur des femmes est également plus interne que celui des guenons et il est davantage protégé par les lèvres extérieures. On remarque habituellement un phénomène d'internalisation des organes génitaux chez les mammifères marins. Mais comme ce n'est pas du tout le cas des hommes et que la forme externe du vagin n'ajoute rien, à mon sens, de très significatif à l'aérodynamisme du corps dans l'eau, je trouve l'analogie avec les baleines plutôt boiteuse.
GLANDES SÉBACÉES
Le deuxième phénomène qu'elle relève est la présence des glandes sébacées qui sont très nombreuses et chez l'humain et qui sécrètent le sébum, cette substance huileuse responsable de l'acné. La seule fonction connue de cette huile serait d'imperméabiliser la peau et la fourrure. Ces glandes prolifèrent sur le visage, le torse et le dos des humains, sont plutôt rares chez les primates. Un autre indice de notre ancien séjour aquatique?
POILS
Troisièmement, Morgan attire notre attention sur l'orientation des poils qu'il nous reste. Contrairement aux poils simiesques qui sont tous invariablement orientés vers le bas, les poils humains sont orientés à différents angles et semblent parfaitement compatibles avec les chemins qu'emprunte l'eau en glissant sur notre corps.
NEZ
En quatrième lieu, Morgan soulève la question du nez humain. Contrairement aux nez de nos cousins les singes qui est essentiellement composé de deux narines directement dans le visage, le nez humain possède une enveloppe cartilagineuse qui jaillit du visage et qui oriente les narines vers le bas. Une fois de plus, il n'est pas difficile de voir qu'il s'agit d'un avantage majeur lorsqu'on est immergé, évitant ainsi que les cavités nasales s'emplissent d'eau. Seule parallèle possible dans le monde des singes: le nasalis larvatus qui est doté d'un nez proéminent. Mais dans ce cas-là, il semble plutôt avoir un rôle dans l'attirance sexuelle, comme la queue du paon ou les bois du cerf.
L’avantage que confère notre nez est toutefois conditionnel à la nage sur le ventre. Lorsque l’on se retourne sur le dos, ça ne tient plus. Or, Morgan avance ici une hypothèse intéressante inspirée de plusieurs commentaires et lettres qu’elle a reçu au cour des ans. Il semblerait que plusieurs personnes soient capable de bloquer leurs narines avec leur lèvre supérieure, le philtrum (qui serait, semble-t-il, une caractéristique unique à nous parmi les primates) vient d’emboîter parfaitement entre les deux narines et la lèvre bloquant complètement celle-ci. Je n’en suis pas capable personnellement, mais il semblerait que plusieurs personnes le sont. Il pourrait s’agir d’une ancienne adaptation à un mode de vie aquatique, tombée en désuétude depuis notre retour à la terre ferme mais subsistant toujours chez certains individus.
LE SANG
Observation intéressante, les mammifères marins possèdent un moins grand nombre de globules rouges que leurs couins terrestres. Les chimpanzés possèdent 7,3 millions de globules rouges par millimètre cube de sang. Pour le gorille, le compte est de 6,3. Chez l’humain? Seulement 5,1 millions.
On remarque également que les mammifères marins ont un taux plus élevé d’hémoglobine. Or, le pourcentage d’hémoglobine par cellule est de 12,2 pour le chimpanzé, de 13,2 pour le gorille et de 18,6 pour les humains.
ALIMENTATION
Plusieurs détails semblent indiquer que nos ancêtres ont déjà été des grands mangeurs de fruits de mer.
Tout d’abord, il y a le développement du cerveau lui-même, qui aurait nécessité un approvisionnement constant et abondant de nourriture pendant toute l’année. Dans la savane, la nourriture est soumise aux caprices des saisons et elle n’est pas toujours abondante. Sur les côtes, par contre, la nourriture peut être trouvée en tout temps. De plus, les effets bénéfiques des Oméga 3, rares sur terre mais abondants dans la mer, semblent corroborer la place importante occupée par les fruits de mer dans notre diète.
LE MARQUEUR DES BABOUINS
Dans les années 70, G. J. Todaro a publié une série d’études qui nous offrent de précieux indices quant à notre passé. En effet, il a prouvé hors de tout doute raisonnable, que nos ancêtres étaient isolés du continent africain à une certaine époque de son histoire. À cette époque, une maladie qui a eu son origine chez les babouins a infecté toutes les populations de singes du continent. Encore aujourd’hui, tous les primates africains possèdent le rétrovirus qu’ils ont hérité de cette époque. Tous, sauf nous. Il faut donc en conclure que nos ancêtres se sont retrouvés physiquement isolés des autres singes d’Afrique à une certaine époque, ce qui expliquerait que nous ayons connu une évolution aussi différente des autres. Cela semble donner de la crédibilité à la thèse de L. P. LaLumière qui propose que nos ancêtres se soient retrouvés sur une île, ou du moins isolés par un important bras d’eau suite à une inondation.
AFAR
Pour Morgan, de tous les endroits en Afrique de l’ouest où les premiers hominidés auraient pu se retrouver isolés des autres primates, la dépression de l’Afar semble être le lieu le plus probable. Situé sur la faille qui a séparé l’Afrique de la péninsule arabique, l’activité tectonique et volcanique y est encore très intense. La mer s’est introduite à plusieurs reprises dans cette dépression et il est possible que cela ait été un événement soudain et catastrophique. Tout comme Gibraltar qui a déjà été une barrière entre l’Atlantique et ce qui est devenu la mer Méditerranée, le détroit de Bab el Mandeb a pu être un étroit passage qui permis à l’océan de pénétrer à l’intérieur des terres. La dépression de l’Afar est d’ailleurs toujours située au dessous du niveau de la mer, une future inondation est donc tout à fait envisageable.
C’est ici que ce termine ce bouquin, laissant plus de questions que de réponses, mais traçant les grandes lignes d’une hypothèse qui, somme toute, me semble tout à fait vraisemblable et même plausible. Évidemment, je n'ai pas la prétention d'être un spécialiste de la question. La tiédeur de la communauté scientifique à propos de cette hypothèse n'est pas très encourageante. Il suffit de visiter la page Wikipédia consacrée à ce sujet pour lire quelques-unes des critiques les plus fréquemment entendues à cet égard. Mais tout cela n'enlève en rien mon intérêt pour les questions que tout cela soulève. Comment ne pas être profondément fasciné par toute démarche qui tente de percer le mystère de nos origines, des conditions qui nous placèrent sur la route qui mène à ce que nous sommes?