Si l'on remontait le temps de plusieurs millions d'années, la Terre ressemblerait à la planète Hoth de Star Wars. Un monde où presque chaque centimètre carré de terre et de mer serait recouvert par de la glace sans fin, balayé par un air glacial et sec. Cet état de refroidissement global, connu sous le nom de Terre boule de neige, s'est produit au moins à deux reprises, il y a plus de 600 millions d'années. Qu’est-ce qui a bien pu déraper dans le thermostat de la planète pour qu’elle se transforme en gigantesque boule de glace ?
Diverses théories ont été avancées, d'évènements volcaniques imprévus à la destruction de supercontinents. Une nouvelle étude, publiée dans la revue Science Advances, explore une autre idée, jusqu’ici largement ignorée : l'impact cataclysmique d'un astéroïde.
Lorsque de gros astéroïdes s'écrasent sur la Terre, ils peuvent libérer de grandes quantités de roches et les projeter dans le ciel. Une grande partie de ces éjecta peut être composée de minéraux sulfurés, qui se transforment en aérosols qui réfléchissent la lumière du soleil dans la stratosphère, la couche de l'atmosphère située au-dessus de la couche la plus basse. S'il y a suffisamment d'aérosols dans la stratosphère, la planète peut se refroidir très rapidement.
Dans le cadre de cette nouvelle étude, les scientifiques ont simulé l'injection d'aérosols sulfatés dans la stratosphère à des concentrations variables pour qu’ils correspondent au type d'aérosols générés par une collision massive avec un astéroïde, à différents moments du passé de la Terre, de ses périodes de chaleur étouffante jusqu'à ses chapitres déjà froids. Ils ont constaté que les périodes les plus chaudes pouvaient supporter le poids d'un impact d'astéroïde sans geler, mais que ces coups de poings extraterrestres pouvaient pousser les climats déjà froids à l'état de boule de neige.
À l'heure actuelle, il n'existe aucune preuve géologique que cela s'est produit. Cependant, cette étude démontre que les astéroïdes pourraient être à l’origine de cette période terrestre. « C'est une expérience de pensée très intéressante », déclare Thomas Gernon, géoscientifique à l'université de Southampton, qui n'a pas participé à l'étude.
Cette étude permet également d'apprécier les efforts actuels visant à développer un système de défense de la planète qui combinerait des observatoires de détection et des technologies de déviation des astéroïdes afin de s'assurer que ceux qui présentent un danger n'atteignent jamais la Terre.
« Les effets d'un impact important suivi d'une glaciation globale seraient désastreux pour la vie complexe et pourraient conduire à l'extinction de l'humanité », explique Minmin Fu, auteur de l'étude et spécialiste de la dynamique du climat à l'université de Yale.
UNE FORCE ASSEZ PUISSANTE POUR TRANSFORMER LA TERRE
Si la planète était privée de la lumière du soleil pendant suffisamment longtemps, elle se refroidirait et ses zones glacées se développeraient. La glace réfléchit la lumière du soleil dans l'espace et plus elle est abondante, plus la planète se refroidit, ce qui entraîne une nouvelle formation de glace. En atteignant un certain seuil glacial, la planète se transforme inexorablement en boule de neige.
S'il est indéniable qu'au cours de son histoire de plusieurs milliards d'années, la Terre a connu des périodes plus chaudes et des périodes plus froides, tous les scientifiques ne sont pas d'accord pour dire qu’elle a, pendant un moment, été entièrement enveloppée de glace. Pourtant, une multitude de caractéristiques géologiques anciennes et étranges ont convaincu de nombreuses personnes que ce phénomène s’est produit au moins deux fois, entre 720 et 635 millions d'années, pendant la période appelée Cryogénien de l'ère Néoprotérozoïque. Des couches écrasées de sédiments et de débris rocheux, typiquement façonnés et transportés par les glaciers, trouvées à l'équateur, en sont l’exemple.
Il est primordial de déterminer ce qui a engendré ces périodes et pourquoi elles se sont terminées. Peu de temps après le dégel de la deuxième boule de neige, une explosion des formes de vie complexes, connue sous le nom d'explosion cambrienne, s'est produite.
« Il est donc essentiel de comprendre pourquoi [ces périodes] se sont produites afin de comprendre l'histoire de la vie sur Terre et le potentiel pour la vie sur d'autres planètes », explique Fu.
Les volcans ont été considérés comme les principaux suspects de la formation de la boule de neige. Il est possible que trop de dioxyde de soufre ait jailli de ces volcans et, s’étant transformé en aérosol dans l'atmosphère, ait engendré un effet de refroidissement. Selon une autre théorie, la Terre comptait peut-être autrefois beaucoup moins de volcans qui relâchaient du dioxyde de carbone, réduisant ainsi l'effet de serre.
« Ces deux hypothèses sont envisageables », déclare l'auteur de l'étude, Alexey Fedorov, expert en modélisation climatique à l'université de Yale. Cependant, il n'est pas certain que les volcans puissent émettre de telles quantités de dioxyde de soufre assez rapidement, ou connaître une chute spectaculaire de leur production de dioxyde de carbone, pouvant engendrer l’état boule de neige de la Terre.
L'impact d'un astéroïde, en revanche, est différent. Il s’agit d’« un événement géologiquement instantané », explique Christian Köberl, auteur de l'étude et spécialiste des impacts à l'université de Vienne. Ce type d’impact est réputé pour rejeter une très grande quantité de sulfates dans l'atmosphère à une vitesse particulièrement rapide.
Le cratère de Chicxulub a été créé par un astéroïde de dix kilomètres de long qui a heurté la Terre il y a 66 millions d'années et a provoqué une série de problèmes environnementaux et climatiques qui ont déclenché une extinction de masse. Les aérosols sulfatés libérés par l’impact ont également contribué à des années de refroidissement global et à l'expansion de la glace de mer. Cela n'a pas déclenché d'état « boule de neige », mais les auteurs se sont demandé si un événement aussi catastrophique s'était produit à d'autres moments de l'histoire de la Terre.
UN ANTAGONISTE EXTRATERRESTRE
Afin de vérifier sa théorie sur les astéroïdes, l'équipe a mis en place des simulations détaillées de différents chapitres du passé de la planète. Dans chacun d’eux, la situation des continents, des océans et de l’atmosphère différaient : l'ère tempérée préindustrielle, avant 1850, le frigorifique dernier maximum glaciaire, il y a 20 000 ans, une ère chaude semblable au Crétacé, il y a 145 à 66 millions d'années, et l'ère Néoprotérozoïque, il y a 750 millions d'années. Certaines de ces reconstitutions étaient plus chaudes, d’autres plus froides.
Ils ont ensuite injecté des quantités plausibles de dioxyde de soufre, semblables à celles de Chicxulub, dans les stratosphères de ces périodes, soit 6,6, 200 et 2 000 milliards de tonnes de ce gaz, et ont observé ce qui se passait. Pouvaient-ils s’attendre à une Terre « boule de neige », définie ici comme une couverture mondiale de glace de mer de 97 % ?
Quelles que soient les conditions, il n'y a jamais eu de monde entièrement gelé dans les périodes chaudes de l'ère préindustrielle et du Crétacé. Néanmoins, il a suffi d'ajouter 200 milliards de tonnes de dioxyde de soufre à une version plus froide de l'ère Néoprotérozoïque et au dernier maximum glaciaire pour que la glace recouvre toutes les mers du globe en moins d'une décennie.
« Il est beaucoup plus difficile de provoquer une boule de neige lorsqu'il fait si chaud sur Terre », explique Köberl. L’étude suggère cependant que lorsque la planète est déjà froide, « c'est possible ».
Le seul moyen de corroborer cette idée serait de trouver un cratère de taille similaire à celui de Chicxulub, soit 180 kilomètres de diamètre, ou les restes riches en soufre éjectés par un impact, et de les dater du début de ces périodes glaciales. Selon Gernon, même après près d'un milliard d'années d'érosion par l'eau, le volcanisme, la biologie et les combinaisons tectoniques, un cratère de cette taille pourrait encore se cacher sur l'un des continents de la Terre.
« C'est une idée attrayante et leur modélisation est assez convaincante », dit-il, mais il restera sceptique tant qu'il n'y aura pas de preuves géologiques irréfutables.
Pour l'instant, cela reste un exercice théorique. « Les impacts n'expliquent pas tout », déclare Köberl. « Mais il faut garder l'esprit ouvert », car cette étude et des événements comme Chicxulub démontrent à quel point les astéroïdes peuvent modifier l’état global de la Terre.
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