En 993 ap. J.-C., une tempête solaire a libéré une impulsion électromagnétique phénoménale que les arbres du monde entier ont absorbé et enregistré. Cet événement s’est avéré crucial pour identifier la date maximale à laquelle les Vikings ont pu arriver en Amérique.
Depuis la découverte d’un village viking à L’Anse aux Meadows, sur l’île canadienne de Terre-Neuve, il y a plus de cinquante ans, la plupart des spécialistes s’accordent à dire que ces navigateurs nordiques, qui ont parcouru les mers de la fin du 8e siècle au début du 12e siècle environ, ont été les premiers Européens à atteindre l’Amérique. Mais la date précise de l’incursion viking au « Vinland », comme ils l’appelaient, continuait de nous échapper. Les artefacts découverts, la datation carbone et les sagas vikings laissaient à penser que le village de L’Anse aux Meadows s’était brièvement épanoui quelque part entre l’an 990 et l’an 1050.
D’après une étude parue dans la revue Nature, grâce à cette tempête cosmique survenue en 993, les chercheurs peuvent désormais affirmer avec certitude que des Vikings étaient en train de bûcher sur leur petit avant-poste de l’Atlantique Nord il y a très exactement 1 000 ans, en 1021.
Même si cette datation plus précise ne changera pas radicalement ce que nous savons de la présence viking en Amérique, elle « confirme ce que les archéologues et les précédents indices suggéraient », affirme Ulf Büntgen, géographe à l’Université de Cambridge qui n’a pas pris part aux recherches. « Je suis vraiment heureux de voir un article comme celui-ci, il y a vingt ans nous n’aurions pas été en mesure d’obtenir de telles données. »
En plus de fournir la première datation exacte d’une présence viking en Amérique du Nord, l’étude corrobore également les légendes écrites des centaines d’années après ces voyages. « Nous avons toujours su que ce serait autour de l’an 1000, mais 1021, c’est vraiment énorme », s’émerveille Davide Zori, archéologue à l’Université Baylor n’ayant pas pris part aux recherches. « Cela prouve que les sagas [vikings] avaient vu juste à environ dix ans près. C’est impressionnant. »
On a obtenu ces nouvelles preuves grâce à d’anciens prélèvements. Des dizaines de datations au carbone 14 réalisées sur des artefacts en bois mis au jour à L’Anse aux Meadows dans les années 1960 avaient révélé que le site avait environ 1 000 ans. Mais cette méthode n’en était alors qu’à ses balbutiements et la marge d’erreur était de quelques dizaines d’années voire même de quelques siècles.
Fort heureusement, des archéologues prévoyants avaient anticipé les progrès qui allaient être réalisés dans la datation au carbone 14. Ils ont donc recouvré et préservé des centaines de morceaux de bois supplémentaires découverts sur le site et aux alentours. Ils les ont en grande partie stockés dans des grands congélateurs dans un entrepôt canadien pour éviter qu’ils se détériorent. Quand Margot Kuitems, archéologue de l’Université de Groningue et autrice de l’étude, a visité l’entrepôt il y a quelques années, elle n’en est pas revenue. Elle y a vu du bois millénaire qui « avait l’air parfaitement frais, comme si on l’avait déposé la veille, confie-t-elle. C’était comme une mine d’or. »
Margot Kuitems n’était cependant pas à l’affût des morceaux les plus jolis. Avec Michael Dee, spécialiste de la datation au carbone 14 de l’Université de Groningue, ils étaient à la recherche d’endroits pour tester une nouvelle méthode de datation utilisant les cernes de croissance des arbres. Pour voir s’ils parviendraient à mieux déterminer l’âge de L’Anse aux Meadows, Margot Kuitems a ramassé des rondins de sapin et de genévrier qui avaient encore leur écorce et qui avaient été coupés et abandonnés près d’une des maisons longues si caractéristiques. « Ce ne sont pas vraiment des artefacts ou de belles pièces fabriquées par les Vikings », dit-elle au sujet de ces échantillons cruciaux. « Ce sont des morceaux de bois qui ne servaient plus. »
Les quatre échantillons choisis avaient quelques caractéristiques communes qui les rendaient parfaits pour ce que voulaient faire Michael Dee et Margot Kuitems. On les avait découverts enfouis sous des couches de terre à côté d’autres objets artisanaux, ce qui les liait inévitablement à l’activité viking. On les avait découpés ou travaillés avec des outils en métal qui n’existaient a priori pas en Amérique du Nord à cette époque (voilà d’ailleurs un témoignage supplémentaire de l’artisanat viking). De plus, leur écorce était toujours attachée, ce qui indiquait sans équivoque le moment où l’arbre avait cessé de pousser.
Mais il y avait autre chose qui sautait aux yeux : trois des échantillons de bois provenaient d’arbres vivants au moment de l’éruption solaire de 993. Cette année-là, le Soleil a libéré une impulsion électromagnétique si puissante que les anneaux des arbres du monde entier en ont gardé la trace. Ce phénomène que les chercheurs nomment « production d’isotopes cosmogéniques » ne s’est produit que deux fois ces 2 000 dernières années.
Cette tempête cosmique, ainsi qu’une autre survenue en 775, a laissé derrière elle des « pics » qui faussent d’environ un siècle les datations au carbone 14 effectuées sur bois, un phénomène que les chercheurs ont découvert en 2012. Identifiable uniquement en comparant des datations de cernes individuels, l’anomalie qui en résulte crée une sorte d’horodatage. « Quand vous arrivez aux pics ça saute aux yeux », explique Michael Dee, qui a dirigé l’étude.
L’équipe a méticuleusement prélevé et daté au carbone 14 plus de cent cernes de croissance, dont certains faisaient moins d’un millimètre d’épaisseur, tout cela dans l’espoir de découvrir le pic cosmogénique de l’an 993. Dans trois des morceaux de bois ils ont découvert le sursaut abrupt qu’ils cherchaient. Un simple calcul a ensuite suffi pour déterminer à quel moment les Vikings avaient abattu l’arbre. « Si vous avez un arbre avec beaucoup de cernes et que l’écorce est toujours là, il suffit juste de compter », explique Michael Dee. Dans ce cas précis, vingt-huit anneaux de croissance séparaient l’écorce du cerne dans lequel l’éjection solaire était consignée.
« La [précédente] datation au carbone 14 couvre la période allant du début à la fin de l’ère viking, rappelle Michael Dee. « Nous prouvons que ça s’est passé en 1021 au plus tard. »
En outre, cette datation est corroborée par deux sagas islandaises, la Saga des Groenlandais et la Saga d’Erik le Rouge, qui rapportent des tentatives d’établir une colonie permanente au Vinland, aux confins occidentaux du monde viking. Bien que composées au 13e siècle, les deux sagas font mention d’événements et de personnes qui ont fait l’Histoire et ont permis à la science de reconstituer une chronologie globale de ces voyages entrepris autour de l’an 1000.
Davide Zori en convient, cette nouvelle datation ne va pas révolutionner ce que nous savons des Vikings en Amérique. Mais grâce au pic émis en 993 on pourrait dater d’autres sites et en découvrir davantage. Surtout dans les endroits où les témoignages historiques ne concordent pas vraiment avec les découvertes archéologiques. « Quand vous voulez relier des événements précis à des monuments ou à des bâtiments, le fait d’avoir une date précise pourrait vraiment faire évoluer notre perspective », assure Davide Zori.
Pour Michael Dee, l’identification de cette date établit un lien tangible avec l’époque où l’humanité a achevé son expansion autour du monde et s’est retrouvée dans une forêt densément boisée du littoral nord-atlantique. « Le moment où on a traversé l’Atlantique fut en quelque sorte la dernière étape, assure-t-il. La datation que nous avons obtenue donne du poids à la réalité de cet événement. »
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