MONTRÉAL, UN TERRITOIRE MOHAWK ?



Extraits de l'article:

Le maire Denis Coderre commence ses discours en précisant que Montréal se trouve en territoire mohawk non cédé, une affirmation controversée qui ne fait pas l’unanimité chez les historiens. La section Débats a demandé à quatre experts d’éclairer la question. Aujourd’hui : Alain Beaulieu

ALAIN BEAULIEU
PROFESSEUR AU DÉPARTEMENT D’HISTOIRE DE L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL

L’île de Montréal fait-elle partie, comme l’affirment les Mohawks, de leur territoire traditionnel ? Les évidences en faveur d’une telle thèse sont très minces, voire inexistantes.

À l’arrivée des Français dans la vallée du Saint-Laurent, le territoire de la confédération iroquoise, dont faisaient partie les Mohawks, se trouvait au sud du lac Ontario et du Saint-Laurent, à l’ouest de l’axe formé par le lac Champlain et le Richelieu. Il n’y avait alors aucune occupation mohawk (ou iroquoise) le long du fleuve, qui était fréquenté par les Innus et les Algonquins, dont le contrôle sur cette région restait toutefois fragile.

En 1603, Champlain décrivait la zone comme une sorte de no man’s land, où personne n’osait s’établir en permanence, en raison des incursions iroquoises. Les motivations politiques des Mohawks restent impossibles à cerner avec certitude, mais elles découlaient probablement de leur volonté d’y établir leur domination dans le contexte du développement de la traite des fourrures. Si c’était le cas, leur projet échoua, car les Français s’allièrent plutôt à leurs ennemis (Innus, Algonquins et Wendats) et parvinrent, après une offensive militaire en 1666, à leur imposer une « paix universelle » englobant tous les alliés autochtones de la Nouvelle-France.

Cette paix, qui dura une vingtaine d’années, marque d’ailleurs le début de l’installation des Mohawks dans la vallée du Saint-Laurent. À l’invitation des autorités françaises, plusieurs Iroquois y migrent dans les années suivantes, attirés notamment par la religion catholique. Provenant principalement de la nation mohawk, ils s’installent, sous la direction des Jésuites, sur une terre octroyée par Louis XIV en 1680 : la terre du Sault-Saint-Louis, qui deviendra Kahnawake. À la même époque, les Sulpiciens fondent une autre mission iroquoise sur l’île de Montréal. Déplacée à quelques reprises, cette mission aboutit finalement au lac des Deux-Montagnes, donnant naissance à la communauté de Kanesatake.

L’installation des Mohawks dans le secteur de Montréal se fait donc dans un contexte colonial particulier, qui n’a certainement pas pour effet de transformer la région, contrôlée par les Français, en territoire mohawk.

D’où vient alors l’idée que l’île de Montréal faisait partie du territoire des Mohawks ? Essentiellement des liens que les Mohawks établissent depuis quelques décennies entre leurs ancêtres et les Iroquoiens rencontrés en 1535 par Jacques Cartier dans la vallée du Saint-Laurent.

Ces autochtones, qui abandonnèrent la région dans la seconde moitié du XVIe siècle, sans doute à la suite de guerres avec d’autres nations amérindiennes, étaient, affirme-t-on à Kahnawake, des Mohawks. L’installation de leurs ancêtres dans la région de Montréal après 1666 ne serait, en somme, que la réoccupation d’un territoire traditionnel.

Les recherches des dernières années, notamment archéologiques, contredisent une telle interprétation. Elles montrent plutôt que les Iroquoiens de la vallée du Saint-Laurent formaient un groupe distinct, qui disparut en tant qu’entité politique dans la seconde moitié du XVIe siècle. Cette interprétation ne cadre pas non plus avec la tradition orale des Mohawks recueillies au XVIIIe siècle. Cette tradition n’associe jamais leur présence dans ce secteur à une occupation antérieure.

À cette époque, les Mohawks ne se considéraient pas non plus comme les occupants originaux des lieux. Ils concédaient ce droit aux Algonquins qui, de leur côté, continuaient à les percevoir comme des étrangers venus s’établir sur leurs terres, comme des « empruntés » pour reprendre la formule péjorative qu’ils employaient parfois à leur égard : « Nous sommes les premiers qui avons habité cette terre », affirmaient-ils en 1756 en présence des Mohawks ; «  vous autres […] êtes venus ensuite, les Français vous ont aussi bien reçus et vous vous êtes déclarés leurs enfants ».

Au lendemain de la Conquête, les Britanniques, qui connaissaient l’histoire de la communauté mohawk, partageaient globalement cette vision des choses. Dans leur logique juridique, les Mohawks ne pouvaient espérer des compensations pour leurs terres de chasse, comme le prévoyait la Proclamation royale de 1763, car ils avaient abandonné leur territoire ancestral pour venir se placer sous la protection des Français.

L’île de Montréal doit-elle alors être considérée comme un territoire autochtone non cédé ? La question mérite d’être posée dans le contexte plus large de la politique anglaise à l’égard des terres autochtones au lendemain de la Conquête. Les Mohawks, en raison de leur histoire, ne semblent pas répondre aux critères établis par les Britanniques, mais d’autres nations ou communautés pourraient éventuellement se prévaloir d’une telle reconnaissance.


 

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