La sépulture d'un bébé âgé de quelques semaines seulement révèle qu'au Mésolithique, il y a environ dix millénaires, les plus petits, garçons ou filles, étaient traités avec soin et enterrés avec des ornements transmis sur plusieurs générations.
La sépulture est émouvante, tant pour sa rareté que pour ce qu’elle nous dit des hommes et des femmes qui peuplaient cette région de l’Europe il y a environ 10.000 ans. Découverte en 2017 dans une grotte d'Arma Veirana, en Ligurie (Italie), elle contenait les restes d’un nourrisson, une petite fille, âgée d’un mois et demi environ et surnommée Neve par les chercheurs. Analysés finement par une équipe de d’archéologues et d’anthropologues de l’Université de Montréal, les minuscules ossements, tout comme les coquillages perforés qui les accompagnaient, ont pu livrer, cinq ans après avoir été sortis de terre, des informations inédites sur le soin apporté à l’inhumation des bébés à la fin du Mésolithique, et sur la symbolique des ornements destinés à les accompagner dans l’au-delà. Ces travaux ont fait l’objet d’une publication dans le Journal of Archaeological Method and Theory, le 30 août 2022.
Des coquillages cousus sur une écharpe de portage
Si les tombes d’enfants au Mésolithique sont relativement exceptionnelles, celles de nourrissons se comptent sur les doigts de la main. Aussi la façon dont les plus jeunes étaient parés et enterrés par leurs aînés, révélatrice de la place qui leur était accordée dans ces sociétés préhistoriques de leur vivant, reste nimbée de zones d’ombre. Ces dernières années pourtant, le développement de nouvelles technologies a permis d’éclairer d’un jour nouveau des sépultures à ornements déjà recensées et étudiées par les archéologues, comme celle de Neve. "Grâce à la photogrammétrie, nous avons pu créer un modèle 3D du petit squelette - aussi fragile que du beurre - et en apprendre davantage sur lui", explique à Sciences et Avenir Claudine Gravel-Miguel, archéologue affiliée à l’Université d’Arizona et chercheuse invitée dans le laboratoire d’anthropologie de l’Université de Montréal. "Nous avons notamment pu déterminer la position des perles faites de coquillages Columbella rustica - préférés au Mésolithique - et émettre notre hypothèse sur la façon dont elles étaient disposées sur le nourrisson."
Il est apparu que les coquillages devaient être cousus sur une écharpe, probablement faite de cuir, qui enveloppait le corps du bébé à la manière d'un lange. "En archéothanatologie, la position de certaines connexions osseuses peut être utilisée pour évaluer si un corps a été enveloppé, et c’est le cas ici", assure la chercheuse. Claudine Gravel-Miguel et son équipe poussent l’hypothèse un peu plus loin : du vivant de l’enfant, ce même lange pourrait avoir servi d’écharpe de portage, ou "porte-bébé". En effet, des recherches récentes suggèrent que le besoin de porter les nourrissons pourrait être apparu dès que les homininés sont devenus bipèdes (résidus de peau et de tissu interprétés dans ce sens, peintures rupestres figurant des scènes de portage…). "Il s’agissait pour les parents de garder leur enfant près d’eux tout en permettant leur mobilité, comme on le voit dans certains groupes de fourrageurs modernes", affirme Claudine Gravel-Miguel. "Il ne serait pas incohérent de faire remonter cette pratique encore un peu plus loin dans le temps, même si nous ne pouvons dépasser le stade de la spéculation sur la façon dont l’écharpe enveloppant ici le nouveau-né était utilisée."
Une fonction magique ?
L’écharpe présentait plus de 70 petits Columbella rustica et quatre gros pendentifs bivalves perforés, d’environ quatre centimètres de longueur, encore jamais observés sur d'autres sites préhistoriques. Pour les chercheurs, cette taille imposante renforce considérablement l’hypothèse d’une écharpe ornée, les coquillages ne pouvant être utilisés comme des bijoux sur un si petit enfant. Fixés à l’écharpe, ils auraient plutôt créé du bruit - un doux cliquetis - qui pourrait avoir eu une fonction particulière. De là à parler de bruit destiné à l’éveil du bébé ? "Ce n’est pas exclu", répond Claudine Gravel-Miguel, "mais impossible là encore à affirmer".
Par ailleurs, la plupart des perles présentaient les marques d’une usure résultant d’une utilisation "sur une période considérable", équivalente à plusieurs générations. "Compte tenu de l'effort qu’il fallut pour créer et préserver ces perles au fil du temps, il est intéressant de constater que la communauté a décidé de s’en séparer lors de l'enterrement d'un si jeune individu", fait remarquer l’experte, qui propose deux explications possibles : les ornements ont pu constituer l’héritage du petit être parti précocement, marquant ainsi sa valeur aux yeux de la communauté, ou incarner une forme de protection contre des forces négatives. Ayant échoué à leur fonction, ils auraient ainsi été enterrés avec le corps plutôt que réutilisés. "Nous avons en tout cas observé au sein de populations de chasseurs-cueilleurs modernes ce rôle de 'repoussoir de forces négatives' attribué à certains ornements."
Des indices précieux sur la place des filles
La petite tombe en dit en tout cas long sur la place accordée aux nouveaux-nés, membres les plus fragiles des populations en des temps où les soins médicaux étaient quasi inexistants et les dangers de la vie nomade constants. "La tombe de Neve est la première à présenter autant d’ornements. Elle démontre clairement que les femmes - et surtout les petites filles - étaient importantes au sein des communautés du Mésolithique." Nous pouvions en effet encore en douter : les plus anciennes tombes de bébés répertoriées (et permettant de déterminer le sexe du défunt) avaient jusqu'ici toutes été attribuées à des individus de sexe masculin. Celle de Neve est enfin venue faire exception, prouvant que les petites filles étaient inhumées avec le même égard que les petits garçons.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire