Évolution de la sexualité humaine

Je suis en train de me taper le bouquin The Third Chimpanzee de Jared Diamond. Cet auteur m'avait beaucoup impressionné avec Guns, Germs and Steel et j'ai pensé que, compte tenu de mon vif intérêt pour le sujet de l'évolution, ce serait un succès assuré. Malheureusement, j'ai plutôt des sentiments mitigés jusqu'à maintenant.

Toutefois, je viens de terminer un passage sur l'évolution de la sexualité humaine et ça m'a donné envie de bloguer sans attendre d'avoir fini le livre.

Vers la fin du troisième chapitre, Diamond nous présente ce qu'il considère être les six principales théories scientifiques qui tentent d'expliquer l'ovulation dissimulée (le fait que, contrairement à tous les autres primates, aucun signe extérieur n'indique qu'une femme ovule et est fertile) et l'accouplement dissimulé (encore une fois, il semblerait que nous soyons les seuls primates qui s'accouplent dans un petit coin privé). 

Voici donc les six théories qu'il met de l'avant, avec mes commentaires:

1- La théorie selon laquelle ces adaptations auraient été nécessaires afin de favoriser la coopération et de réduire l'agression entre les chasseurs mâles. Comment les hommes pourraient-ils coopérer à la chasse s'ils sont trop occupés à se battre pour obtenir les faveurs d'une femme qui ovule? Diamond ne favorise pas cette théorie et la considère même sexiste, et je suis enclin à acquiescer avec lui là-dessus. L'évolution du corps de la femme aurait comme moteur principal la solidité des liens qui unissent les hommes? Il me semble que cela pourrait être un effet secondaire souhaitable, pas une cause! De plus, les autres primates femelles ont des ovulations "publiques", les mâles compétitionnent parfois (pas toujours) pour s'accoupler avec elles et personne ne meurt de faim pour autant.

2- L'ovulation et la copulation dissimulées solidifient les liens d'un couple et est la base de la "famille humaine". En restant sexuellement disponible en tout temps, la femme s'assure que son homme n'ira pas voir ailleurs et qu'en retour, il la nourrira et la protégera, ainsi que ses enfants. Cette théorie, en plus d'être encore plus sexiste que l'autre (la femme n'aime pas le sexe, elle s'en sert pour capturer un homme), elle ignore complètement le fait que les gibbons sont résolument monogames, malgré le fait que l'ovulation de la femelle est visible et qu'ils ne s'accouplent que quelques fois par année. Elle prend également pour acquis que la monogamie est le modèle fondamental pour lequel nous aurions évolué et, à mon humble avis, rien n'est moins sûr.

3- La théorie de Donald Symons postule que les femmes, en étant (en apparence du moins) toujours fécondes, reçoivent donc un intérêt toujours soutenu des mâles qui les nourrissent et s'occupent d'elles. Ceci constituerait un avantage comparativement aux chimpanzés chez qui, apparemment, les mâles préfèrent partager leur nourriture avec les femelles qui ovulent qu'avec les autres. Diamond l'aime bien celle-là, parce que, écrit-il, "he views women as cleverly pursuing their own goals." J'ai été franchement étonné et déçu de lire ce commentaire. Le mérite d'une théorie à propos de l'évolution humaine ne devrait pas être déterminée d'après nos critères modernes de féminisme et de political correctness! Diamond a perdu beaucoup de crédibilité à mes yeux en seulement quelques mots. En ce qui me concerne, je ne vois pas une grosse différence entre celle-ci et la théorie 2 puisqu'il est encore question de femmes manipulatrices qui se servent du sexe pour bouffer. On semble dire qu'une femme est incapable de se nourrir elle-même et que personne n'accepterait de la nourrir à moins de pouvoir également la baiser. Je trouve ça extrêmement réducteur et pas moins sexiste que l'hypothèse précédente.

4- La théorie d'Alexander et Katherine Noonan (la présence d'une femme lui donne déjà de la crédibilité aux yeux de Diamond, ce qui est, encore une fois, étonnant et malheureux venant d'un scientifique) avance que si les hommes savaient précisément quand "LEUR femme" ovule, ils pourraient copuler avec elle seulement lorsqu'elle est fertile et l'ignorer le reste du temps. L'évolution aurait donc favoriser l'ovulation dissimulée afin que les femmes puissent maintenir l'intérêt d'un homme grâce à la paranoïa qui entoure sa paternité. Contrairement à Diamond, je n'accorde pas plus d'importance à celle-ci simplement parce qu'une femme a participé à son élaboration. Je la trouve tout simplement bizarre parce qu'elle semble oublier un truc très important: l'apparence d'être constamment fertile et réceptive au sexe n'est pas exclusif à une femme, mais plutôt à TOUTES les femmes. En quoi cela est-il supposé donner envie à un homme de s'accoupler avec une seule femme pour le reste de sa vie?

5- La théorie de Sarah Hrdy (oui, une femme, Diamond est donc en extase) est basée sur ses observations d'infanticides chez les primates. En effet, il semblerait qu'il soit avantageux pour un mâle de tuer les enfants qui ne sont pas de lui afin que les femelles ovulent à nouveau et donnent naissance à ses bébés à LUI. Afin de mettre fin à cette pratique, Hrdy avance que les femmes ont évolué une ovulation dissimulée afin de semer la confusion quant à la paternité et ainsi éviter que les hommes tuent les bébés et encore mieux, qu'ils soient plusieurs à les nourrir. Diamond l'adore celle-là, parce qu'elle renverse "conventional masculine sexism and transfers sexual power to women!"

Là, je suis tombé en bas de ma chaise. Vraiment. Premièrement, qu'est-ce qui intéresse Diamond exactement? La découverte de la vérité ou l'adoption d'une théorie féministe qui se marie bien avec ses valeurs modernes??? Deuxièmement, cette théorie est encore plus horriblement sexiste que les autres, mais cette fois-ci, ce sont les hommes qui écopent en nous dépeignant tous comme de potentiels psychopathes meurtriers de bébés ! Comme si, au fin fond de nous-mêmes, une pulsion meurtrière s'éveillait à la vue d'enfants qui ne sont pas les nôtres! C'est grotesque! Troisièmement, cette théorie semble avancer que les femmes auraient "choisi" d'évoluer une ovulation dissimulée, comme s'il était possible de décider à l'avance dans quelle direction l'évolution va nous amener. C'est complètement ridicule.

6- La théorie de Nancy Burley (une autre femme, Diamond danse donc la lambada dans son caleçon) se base sur la taille des nouveaux-nés qui sont exceptionnellement gros chez les humains, plus du double de la taille d'un nouveau-né gorille, malgré le fait qu'une gorille femelle soit beaucoup plus massive qu'une femme. En conséquence, l'accouchement chez l'humain est beaucoup plus douloureux et peut entraîner la mort de la mère, fait rarissime chez les primates. Or, une femme qui serait consciente de sa propre ovulation pourrait donc CHOISIR de ne pas s'accoupler pendant cette période afin d'éviter un pénible accouchement. Parallèlement, des femmes qui ignorent tout de leur propre ovulation auront donc plus d'enfants que les premières et leurs gênes deviendront donc dominants, entraînant la disparition de tous les signes extérieurs d'ovulation chez leurs descendantes.

Je ne suis pas un spécialiste, mais elle me semble un peu plus solide que les autres, celle-là. Contrairement aux autres qui semblent attribuer une "intention" humaine à l'évolution, celle-ci nous dépeint un processus désincarné qui échappe au contrôle, ce qui me semble plus crédible. Elle n'attribue pas de rôles sexistes aux hommes ou aux femmes, ce qui est également tout à son honneur. Mais elle attribue toutefois une espèce de terreur universelle de l'accouchement chez les femmes et sincèrement, je ne suis pas convaincu que cela soit vrai

Finalement, bien que la sixième théorie soit moins risible que les autres, aucune d'entre elle ne me satisfait vraiment. À mon avis, on a du mal à trouver une explication à ces phénomènes parce qu'on part avec le postulat que le "modèle ancestral" humain est le modèle actuel (ou plutôt celui des années 50): la monogamie où l'homme nourrit sa femme en échange d'un accès exclusif à son vagin. À cet égard, un livre comme Sex at Dawn qui avance plutôt que les humains ont longtemps été tout à fait communautaristes dans leur sexualité et que la monogamie, loin d'être le modèle de base, serait apparue beaucoup plus tard comme une adaptation à un nouveau mode de vie causé par l'arrivée de l'agriculture, nous offre une façon alternative et libératrice d'envisager la sexualité de nos ancêtre préhistoriques.

Il est donc là, je crois, le problème. Tout le monde semble prendre pour acquis qu'on est comme on est, c'est à dire monogames, depuis la nuit des temps. Pas surprenant qu'en partant de cette prémisse, les scientifiques accouchent de théories aussi farfelues!



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