Quelle intriguante affaire:
Dans le hameau Vale Perkins du canton de Potton, situé sur les rives du lac Memphrémagog, les ruines d'un ancien moulin à eau se cachent au pied d'une cascade, sur la terre de la ferme Jones. Cette famille, établie en 1850, n'avait jamais entendu parler d'un moulin à l'arrière de sa maison et répétait que ces imposantes fondations de pierre «avaient toujours été là».
De plus, selon la tradition orale, les pionniers du coin étaient allés y chercher des pierres pour bâtir leurs maisons. Tout suggérait donc qu'à cette date, le lieu était déjà abandonné et que l'édification du moulin avait débuté bien avant l'arrivée des Jones sur leur terre.
L'hypothèse selon laquelle des bâtisseurs avaient taillé et placé des pierres de trois et quatre tonnes métriques chacune, bien avant 1850, peut faire sursauter. Pourtant, ces vestiges témoignent d'une très ancienne occupation du territoire par des constructeurs de pierre.
Avec l'espoir de résoudre l'énigme du moulin du site Jones, une fouille archéologique fut commanditée par le ministère de la Culture et des Communications du Québec et la municipalité du canton de Potton, en 1992. À l'époque, à titre de président de l'Association du patrimoine de Potton, je fus invité à participer à la recherche. Ce qui m'a permis de mieux connaître le site et de suivre la démarche des archéologues.
Deux artefacts d'origine humaine datables furent découverts au cours de la fouille: du charbon de bois au pied des fondations et la base d'un piquet de bois travaillé. J'étais à l'époque très heureux de cette trouvaille qui permettrait de situer sans équivoque la date de l'érection des imposantes assises de ce moulin.
(...) En archéologie, il est courant de confirmer l'époque d'occupation d'un site ancien par des datations au radiocarbone sur des vestiges trouvés en contexte. C'est une approche objective, dénuée de préjugés historiques ou culturels. À ma grande déception, on refusa de soumettre les artefacts mentionnés plus haut aux datations radiocarbone sous prétexte d'épargner de l'argent au gouvernement!
On m'a toutefois permis de procéder moi-même aux datations, ce que j'ai fait à mes frais. Les échantillons de charbon de bois (identifiés comme provenant de feuillus) et de piquet de pruche ont été préparés par le laboratoire de palynologie et de paléobiogéographie de l'Université de Montréal, puis les datations au radiocarbone furent effectuées par le Isotrace Laboratory de l'Université de Toronto. Résultats? Le charbon de bois et le piquet furent tous les deux datés autour de l'an 1500 de notre ère, ce qui situait la construction du moulin.
(...) Au moment où Cartier et Roberval tentaient d'établir une colonie à Cap-Rouge, des inconnus érigeaient, il y a environ 500 ans, de formidables fondations de pierre pour un moulin à eau au coeur des Cantons-de-l'Est. Qui dit moulin, dit une collectivité à desservir, une activité agricole, des maisons, etc. Voilà de troublantes questions...
Les Amériques n'étaient pas des terres inconnues de l'Ancien Monde comme certains le prétendent encore aujourd'hui et, après les Vikings, Jacques Cartier ne fut certainement pas le premier Européen à mettre le pied au Québec. L'environnement du Nord-Est américain recèle d'innombrables vestiges abandonnés par les anciens constructeurs de pierre et nous faisons face à une dimension cachée de notre préhistoire que l'establishment se refuse d'explorer. On ferme les yeux. C'est la conspiration du silence.
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